Stendhal - Ëèòåðàòóðà : çàðóáåæíàÿ - Ñêà÷àòü áåñïëàòíî
STENDHAL
Ses romans sont presque tous autobiographiques (mais en est-il qui ne le
sont pas?). C'est, pour Stendhal, l'idéal qui fournit la jauge à laquelle
doit se mesurer le réel; cet idéal cristallisé par Napoléon à qui Julien
Sorel voue une véritable passion."Quoi! n'est-ce que ça?" est une
exclamation à la fois propre à Stendhalet qui témoigne a contrario de la
prégnance de l'idéal chez l'humain.Balzac avait noté le ton "sec et
sarcastique" de S., alors même qu'il le faisait rire en lui contant une
histoire italienne
Le Rouge et le noir (1830)
Les batailles et les victoires, que remporte Julien en amour avec Mme de
Rênal, suffiront-elles à lui faire oublier les rêves et la gloire
personnifiés par Napoléon, dont il cache le portrait sous son lit?
On ne comprendra rien à l'ère napoléonienne si l'on passe sous silence
l'enthousiasme des jeunes gens qui voyaient se réaliser sous leurs yeux et
avec leurs bras le rêve révolutionnaire de 1789: les trônes abattus,
l'ancien régime et ses privilèges détruits, la nouvelle société basée sur
la raison et les droits ébauchée. C'est ainsi qu'il faut comprendre que le
patriote exagéré que fut le jeune Beyle entra totalement dans l'orbite de
Napoléon, comme en témoigne, entre autres le début de la Chartreuse de
Parme; c'est ce que décrit avec tant d'éloquence Michelet qui a pu écrire
des armées révolutionnaires que "la poussière des chemins se soulevait à
l'avance sur leur passage"; c'est pourquoi le philosophe Hegel, assistant à
l'entrée de Napoléon à Ulm, dit avoir vu passer l'esprit du monde à cheval;
c'est ce qui poussa une certaine famille de négociants de Livourne à
collaborer avec l'armée de la Grande Nation commandée par Bonaparte en 1796-
1797; c'est ce qu'attestent les nobles dernières paroles prêtées par Venant-
Denon au général Dessaix, à Marengo: "Allez dire au premier consul que je
meurs avec le regret de n'avoir pas fait assez pour la postérité."
La legende napoleonienne s’inscrit dans un contexte naissant du XIXeme
siecle qu’est le romantisme. Nous retrouvons dans Le Rouge et le Noir de
Stendhal cette generation perdue, marquee par Julien Sorel et a la
recherche d’un ideal incorpore par Napoleon. Les ames romantiques y
decouvrent l’exaltation, la grandeur, la puissance, le genie, … Evidemment,
le Memorial de Sainte-Helene ne laisse qu’une l’image d’un heros
romantique. Mais Las Cases n’est pas le seul a entretenir cette legende.
Des artistes, des chansonniers, des ecrivains comme Jean Tulard ou les
generaux Montholon et Gourmand publient des chansons ou livres qui
glorifient les exploits de cet Empereur dechu (Memoires pour servir a
l’histoire de France) ; d’autres le critiquent pour son despotisme et son
imperialisme (Jacques Bainville, Charles Maurras ou Leon Daudet).
d'une part l'opposition du roman realiste au roman romantique , cette
opposition se realisant par rejet et denigrement du roman "romanesque", " a
l'eau de rose" , etc.. (voir par ex. Emma Bovary et ses lectures de
jeunesse, voir aussi le personnage de Julien Sorel qui monte a l'assaut de
Mathilde, les poches bourrees de revolvers comme si on lui tendait une
embuscade....
d'autre part, ce rejet du roman "romanesque" par les lecteurs pour la
raison que le "roman romanesque" n'est qu'un jeu qui n'a rien a voir avec
la realite. [voir a ce sujet l'opposition entre Julien Sorel dans Le Rouge
et Le Noir et son pere au debut du livre, lorsque nous decouvrons Julien
pour la premiere fois ]. Ce rejet, peut etre percu dans la dimension
pejorative d'expressions habituelles utilisant le terme de roman : "tout ca
c'est du roman " ou "la vie est un roman". On prefere ce qui est vrai a ce
qui est invente : il faut donc que le roman, s'il veut conserver son public
"fasse vrai". Il est singulier que Stendhal passe encore aujourd'hui dans
certains milieux pour l'avocat de Tartuffe a cause du Rouge et Noir.
Julien Sorel ou
la chronique d'un hypocrite
Le Rouge et le Noir, un roman de Stendhal (1830) En prêt au Centre
culturel français.
C'est un roman écrit dans la première partie du XIXème siècle, inspiré de
deux faits divers. Premièrement, l'affaire Lafargue : un ouvrier tombe
amoureux d'une femme mariée. Mais celle-ci veut rompre. Lafargue se venge
en la tuant. Deuxièmement, l'affaire Berthet. Ce fils de maréchal-ferrant
est admis au séminaire de Grenoble (la ville natale de Stendhal). Mais,
très malade, le jeune homme est obligé d'interrompre ses études et
devient précepteur dans une famille riche. Il est alors accusé d'avoir
une liaison avec la maîtresse de maison. Renvoyé, Berthet reprend du
service dans la maison voisine où il est soupçonné de séduire la mère de
ses élèves. Persécutée par son ancienne maîtresse qui ne supporte pas
d'avoir été si facilement remplacée, le jeune Berthet se venge et lui
tire dessus. Il est ensuite condamné à mort.
Complexe d'infériorité
Les traits principaux de la pauvre vie de Julien Sorel, le héros du
roman, sont un mélange de ces deux histoires. Pas très imaginatif, le
père Stendhal qui s'est contenté de dépouiller les chiens écrasés. Mais
grâce à son style souple et prévenant -il n'hésite pas à s'inquiéter de
l'ennui du lecteur-, il est vite pardonné.
Julien est fils de charpentier. Mais il est chétif et adore la lecture,
deux défauts impardonnables pour réussir dans le métier de son père. Que
peut-il faire alors ? S'il était né plus tôt, il aurait pu servir dans
l'armée de Napoléon, «l'homme providentiel» que Dieu a envoyé pour sauver
le peuple, et s'habiller de rouge. Mais il est trop tard. Déterminé à
faire carrière à tout prix, il choisit la religion et l'habit noir. Il
apprend par cur toute la Bible en latin et devient un phénomène, un
miracle. Julien Sorel gravit alors les échelons de la société et se
retrouve précepteur chez M. de Rênal. Peu de temps après, il a une
liaison avec la femme de son patron. Découvert, il quitte son emploi et
se met ensuite au service de M. de la Mole. Sorel découvre le milieu de
l'ancienne noblesse parisienne et l'amour de Mathilde, la fille de son
bienfaiteur. C'est le mariage mais Mme de Rênal vient compromettre cette
relation. Harcelé, Julien tente de la tuer dans une église de deux coups
de pistolet, puis il est guillotiné. Fin sans gloire d'un ambitieux...
Julien Sorel est le héros stendhalien par excellence, torturé par ses
contradictions. Il séduit déjà deux femmes de natures tout à fait
distinctes. L'une voit dans le jeune précepteur son fils aîné. L'autre
est hautaine et orgueilleuse. Mathilde vit encore dans le passé et
recherche en Julien son aïeul Boniface de la Mole, l'amant de la reine
Marguerite de Navarre, un maître tyrannique. De son côté, Julien ne pense
qu'à lui. Aimer Mme de Rênal ou Melle de la Mole n'est qu'un prétexte
afin de faire ses preuves dans cette haute société et anéantir son
complexe d'infériorité. Peur d'être mal traité, peur surtout de paraître
ridicule. Julien scrute, examine, analyse les moindres faits et gestes de
ses conquêtes : Mme de Rênal retire sa main de la sienne. Ne serait-ce
pas là une marque de mépris ? Paralysé par l'obsession de son rang, Sorel
ne parvient pas à éprouver de l'amour. Dans l'âme de ce jeune homme du
peuple, les sentiments se brouillent.
Le Rouge et le Noir est une uvre attirante. Son titre d'abord fascine par
la netteté des couleurs. Le rouge, symbole d'un rêve militaire, peut-être
le sang de Mme de Rênal répandu sur le sol de l'église. Le noir, choisi
par le héros pour faire carrière en se servant de la religion, peut-être
aussi le deuil que porte Mathilde à la mort de son mari.
Par ailleurs, dans cette société machiavélique, l'hypocrisie n'est point
un défaut. Au contraire, elle est justifiée, un avantage même dans un
monde livré aux vices, où on ne trouve personne à admirer ou à respecter.
Julien est l'un de ces hypocrites qui se sert des gens comme de ponts
pour franchir les paliers de la hiérarchie sociale et réaliser ses rêves.
En fait, Stendhal nous propose une chronique du XIXème siècle, d'une
génération de jeunes gens dont Sorel est le représentant. Mais au-delà de
l'espace du roman, il est aussi le miroir d'une jeunesse actuelle qui
rêve, comme Julien sublime Napoléon, de vivre d'autres temps plus
héroïques.
Nissrine A. Sheikh
Le Rouge et le Noir raconte l’histoire de Julien Sorel , jeune homme
admirateur de Napoléon qui hésite entre une carrière ecclésiastique ou
militaire , qui a du succès auprès des femmes , et qui , parti d’une
situation difficile arrive petit à petit à une respectable situation ,
malheureusement à la fin du livre il décède.
Dans ce roman , à travers le héros , Stendhal fait l’éloge de Napoléon
Bonaparte . Julien Sorel , dés son plus jeune âge ( ‘‘Dés sa première
enfance , la vue de certains dragons du 6e , aux longs manteaux blancs et
la tète couverte de casques aux longs crins noirs , qui venaient d’Italie
et que Julien vit attacher leurs chevaux à la fenêtre grillée de son père ,
le rendit fou de l’état militaire . Plus tard , il écoutait avec transport
les récits des batailles du pont de Lodi , d’arcole , de Rivoli...’’) ,
admire l’Empereur et rendu à un âge de réflexion il regrette son départ
(‘‘Depuis la chute de Napoléon , toute apparence de galanterie est
sévèrement bannie des moeurs de la province’’, ‘‘Quand la présence continue
du danger a été remplacée par les plaintes de la civilisation moderne ,
leur race (des âmes héroïques) a disparu du monde .’’ ‘‘Ah ! s’écria-t-il
(Julien)que Napoléon était bien l’homme envoyé de Dieu pour les jeunes
Français ! Qui le remplacera ? Que feront sans lui les malheureux , même
plus riches que moi , qui ont juste les quelques écus qu’il faut pour se
procurer une bonne éducation , et pas assez d’argent pour acheter un homme
à vingt ans et se pousser dans une carrière ! Quoi qu’on fasse , ajouta-t-
il avec un profond soupir , ce souvenir nous empêchera d’être heureux !’’)
Et le rêve de Julien Sorel est de succéder à son héros (‘‘Son bonheur n’eut
plus de bornes lorsque , passant près du vieux rempart , le bruit de la
petite pièce du canon fit sauter son cheval hors du rang . Par un grand
hasard , il ne tomba pas ; de ce moment il se senti un héros . Il était
officier d’ordonnance de Napoléon et chargeait une batterie .’’)
Si vous avez raté le roman
Stendhal ne sculptait pas ses romans dans le marbre. Il écrivait vite, très
vite, pour capter la vitesse de la vie, saisir son époque. La trame du
roman est d'ailleurs tirée d'un fait divers qui agita l'lsère en 1827. Son
héros Julien Sorel est un jeune homme pauvre et doué qui, dans la France
ultra et bigote de la Restauration, ne peut sortir de sa condition que par
la prêtrise et les femmes, car Julien est beau garçon. Il n'est pas
Rastignac, trop impétueux pour cela. Ni Don Juan. Ce sont les femmes qui le
choisissent.
D'abord, madame de Rênal, la provinciale, épouse du maire de Verrières, la
petite ville où Julien est né, qui l'a engagé comme précepteur des enfants.
Puis Mathilde de La Mole, la Parisienne, enfant gâtée et fanstasque du
marquis de La Mole, un pair du royaume dont Julien est devenu le
secrétaire. Alors qu'il est sur le point d'épouser la jeune fille, il prend
connaissance de la lettre, toute de venin, que madame de Rênal a envoyée à
son futur beau-père, le marquis. Il décide de la tuer. Julien, comme tous
les héros de Stendhal, ne mourra pas dans son lit.
|Un grand écrivain appartient à tout le monde et |
|Stendhal est de ce point de vue un écrivain singulier, pour employer|
|un qualificatif qu'il affectionne, au point qu'on le trouve parfois |
|à plusieurs reprises dans la même page de l'un de ses romans et des |
|centaines de fois dans son oeuvre. |
|Singulier d'abord parce qu'il a été peu lu de son vivant, même s'il |
|a suscité l'admiration de Balzac et de Goethe, ce qui n'était pas |
|rien. Lui-même pensait qu'il serait lu plus tard, en 1880, en |
|1930... et il avait vu clair. Il est aujourd'hui considéré dans le |
|monde comme un des plus grands écrivains de tous les temps, si son |
|temps l'a ignoré. |
|Mais il n'a jamais cessé de susciter des sentiments divers et s'il |
|éveille chez les uns une sympathie pour des raisons parfois |
|contradictoires, d'autres au seul bruit de son nom débordent |
|d'indignation et d'injures. |
|Ainsi Claudel, vous le savez, qui voyait encore en lui "un |
|pachyderme", un "épais philistin" et se conentait de le classer dans|
|le nombre des "ratés et des refoulés de l'amour". |
|En ce qui me concerne ce que je trouve singulier chez ce grand |
|écrivain, ce que j'aime en lui, c'est justement qu'il est un |
|personnage contrasté, à l'image de la vie elle-même. Certains de ses|
|détracteurs - et amis quelquefois - ont beau jeu de dire qu'il a |
|tenu sur tel personnage ou tel évément historique des propos |
|contradictoires mais, j'y reviendrai, il me semble au contraire |
|qu'au-delà de ces contradictions, qu'il se situe, lucidement, dans |
|le sens du devenir historique et qu'il porte un jugement perspicace |
|sur la société de son temps. S'il ne se refuse pas à voir les |
|contradictions, y compris les siennes propres, il reste ancré sur |
|l'essentiel. Ce qui le conduit à jeter un regard sévère sur l'époque|
|de la Restauration et de la monarchie de Juillet, en restant fidèle |
|à ses premières amours jacobines. |
|Il est singulier que Stendhal passe encore aujourd'hui dans certains|
|milieux pour l'avocat de Tartuffe à cause du Rouge et Noir. |
|Dès son enfance au contraire, le jeune Beyle se révolte devant |
|toutes les manifestations d'hypocrisie. Et à la fin de sa vie, il |
|remarque dans Henri Brulard : "La société prolongée avec un |
|hypocrite me donne un commencement de mal de mer." |
|Toute son oeuvre sera marquée par ce sentiment. |
|Il y a d'abord l'aspect littéraire du problème, la question du style|
|: on sait comment l'horreur de l'emphase le conduit à prendre le |
|Code civil pour modèle - du moins l'assure-t-il - et comment il |
|faillit, dit-il, se battre en duel à cause de "la cime indéterminée |
|des forêts" de Chateaubriand, qui trouvait des admirateurs dans son |
|régiment. |
|"Le style de M. de Chateaubriand et de M. Villemain me semble dire |
|: 1. beaucoup de petites choses agréables mais inutiles à dire... |
|2. beaucoup de petites faussetés agréables à entendre." |
|On sait aussi comment, pour protester contre l'enseignement que lui|
|dispense le jésuite Raillane, il se réfugie avec passion dans |
|l'étude des mathématiques, où, pense-t-il, l'hypocrisie n'est pas |
|possible. Ces chères mathématique dont, faisant beaucoup plus tard |
|le bilan de sa vie, il pouvait dire encore dans La Vie d'Henri |
|Brulard : "J'aimais et j'aime encore les mathématiques comme |
|n'admettant pas l'hypocrisie et le vague, mes deux bêtes |
|d'aversion." |
|Paul Valéry a raison de remarquer : "Suprêmement sensible à |
|l'hypocrisie, il flaire à cent lieues, dans l'espace social, la |
|simulation et la dissimulation. Sa foi dans le mensonge universel |
|était ferme et presque constitutionnelle." |
|Mais ce n'est là encore qu'une approche de la question. Pendant |
|longtemps, son journal en fait foi, Stendhal a été hanté par le |
|Tartuffe de Molière. Dans Le Rouge et le Noir, il s'attaque |
|lui-même au coeur du problème et nous fait comprendre admirablement|
|qu'il ne s'agit pas en l'occurrence de psychologie individuelle, ni|
|encore moins de métaphysique, mais en dernière analyse de |
|politique. |
|Car le véritable accusé dans Le Rouge et le Noir, ce n'est pas |
|Julien, mais la société. Et non pas la société en général donnée |
|une fois pour toutes, mais celle que connaît Stendhal et dont il |
|démonte les rouages avec une précision d'horloger. |
|La révolte de Stendhal est historiquement datée. Que nous montre en|
|effet Le Rouge et le Noir ? Que, dans une société soumise à la |
|tyrannie d'une classe dominante (et l'auteur décrit très |
|concrètement comment s'exerce, sous la Restauration, cette |
|domination des nobles et de la Congrégation), celui que le sort a |
|fait naître dans une "classe dite inférieure" n'a le choix qu'entre|
|l'hypocrisie et la révolte. Et Le Rouge et le Noir, côté Julien, |
|est révolte et non pas hypocrisie; |
|La morale, c'est tout ce qui est utile à la caste privilégiée. |
|L'hypocrisie n'est pas dans ce cas le fait de l'individu. Elle est |
|partout, elle est la condition même du bon fonctionnement du |
|système social. C'est la société qui l'impose à l'individu, et |
|celui-ci n'a pas le choix, il est contraint d'accepter la règle du |
|jeu, de feindre d'être dupe s'il ne veut pas être rejeté et |
|condamné. Car "mentir n'est-il pas la seule ressource des esclaves"|
|? |
|L'"égotisme" dont Stendhal a fait sa philosophie personnelle n'est |
|au fond que l'aspiration de l'individu à se libérer de cette gangue|
|sociale, qui l'empêche de s'épanouir. |
|A plusieurs reprises, dans son Journal, il feint de s'excuser |
|d'avoir recours au mot et à la chose comme s'il était inconvenant |
|de parler de soi. Ne soyons pas dupe de cet accès de modestie |
|littéraire à laquelle il nous convie sans beaucoup y croire. |
|Ce qui est vrai c'est que l'égotisme n'est ni exemplaire ni valable|
|en tout temps et en tout lieu. Sa valeur est singulière, |
|circonstancielle et se mesure à la qualité de celui qui le |
|pratique. M. de Chateaubriand peut apparaître, c'est Stendhal |
|lui-même qui le dit, comme "le roi des égotistes", il opère |
|cependant sur un autre registre que l'auteur du Rouge et Noir, qui |
|remarque : "Je suis comme une femme honnête qui se ferait fille : |
|j'ai besoin de vaincre à chaque instant cette pudeur d'honnête |
|homme qui a horreur de parler de soi." |
|L'égotisme c'est la résistance à une société injuste, avec les |
|moyens du bord. C'est la revendication d'être soi-même face à des |
|contraintes extérieures jugées inacceptables. D'où l'exaltation |
|permanente du naturel qui s'oppose à la vanité, comme l'être |
|s'oppose au paraître. Le naturel c'est la sincérité, la passion, le|
|mépris des faux-semblants et des convenances, le refus d'accepter |
|la règle d'un jeu social fondé sur le mensonge. Ce n'est donc pas |
|de l'égoïsme et ce n'est pas seulement la volonté de se faire, |
|suivant le mot de Valéry, "l'insulaire de l'Ile Moi" car Stendhal |
|et ses héros professent une morale qui est, comme toute morale, une|
|règle de la vie en société : celle de l'utilité. |
|L'égotisme est une réaction d'autodéfense de l'individu à cette |
|époque précisément - celle de la Restauration et de la monarchie de|
|Juillet - contre les sentiments bas, les ambitions subalternes, |
|l'amour de l'argent, l'intolérance et l'arbitraire du despotisme : |
|"Tout ce qui était tyrannie, écrit Stendhal, me révoltait et je |
|n'aimais pas le pouvoir." |
|Cette aspiration à la liberté dépasse le niveau de la revendication|
|individualiste. Elle est porteuse d'un espoir plus vaste qui |
|réconcilierait l'homme révolté avec la société. Mais cet espoir est|
|exclu dans un système fondé sur le mensonge et l'obscurantisme. |
|Qu'il s'agisse de l'Italie féodale, de la France de la |
|Restauration, ou de la monarchie de Juillet, partout c'est |
|l'hypocrisie qui fait loi. Quel est le leitmotiv de l'enseignement |
|dispensé par la Congrégation sous Charles X : "Ce sont les livres |
|qui ont perdu la France." Quelle est la philosophie en honneur dans|
|les classes dirigeantes à Parme ? "Le marquis del Dongo professait |
|une haine vigoureuse pour les Lumières : ce sont les idées, |
|disait-il, qui ont perdu l'Italie." Quel est le conseil donné à |
|Fabrice par le bon abbé Blanès (détesté par le marquis "parce qu'il|
|raisonne trop pour un homme de si bas étage") : "Si tu ne deviens |
|pas hypocrite, lui disait-il, peut-être tu seras un homme." Quelle |
|est la règle de conduite impérative dans le noble salon de l'hôtel |
|de La Mole où Julien, qui fait ses premiers pas d'homme introduit |
|dans le monde, s'aperçoit que "la moindre idée vive semblait une |
|grossiéreté" ? Stendhal nous résume cette règle non écrite en |
|paraphrasant Beaumarchais : "Pourvu qu'on ne plaisantât ni de Dieu,|
|ni des prêtres, ni du roi, ni des gens en place, ni des artistes |
|protégés par la cour, ni de tout ce qui est établi, pourvu qu'on ne|
|dît de bien ni de Béranger, ni des journaux de l'opposition, ni de |
|Voltaire, ni de Rousseau, ni de tout ce qui se permet un peu de |
|franc-parler, pourvu surtout qu'on ne parlât jamais de politique, |
|on pouvait librement raisonner de tout." |
|Pour Stendhal, le pouvoir engendre inévitablement la courtisanerie |
|et il écrit joliment : "Le chevalier bégayait un peu parce qu'il |
|avait l'honneur de voir souvent un chevalier qui avait ce défaut." |
|Mais c'est peut-être le personnage de Lamiel - sorte de double |
|féminin de Julien Sorel - qui manifeste avec le plus d'éclat son |
|dégoût de l'imposture et son refus d'être dupe des fausses |
|apparences : "Le premier sentiment de Lamiel à la vue d'une vertu |
|était de croire à une hypocrisie." Elle pousse même jusqu'à |
|l'absurde cette volonté d'être sincère pour sa part, quoi qu'il en |
|coûte, et d'être aimée en retour pour elle-même et non seulement |
|pour sa beauté. |
|C'est le singulier épisode du "vert de houx" lorsqu'elle frotte une|
|de ses joues avec ce produit pharmaceutique qui a la propriété |
|d'enlaidir momentanément les plus charmants visages. Elle veut |
|vérifier si le jeune duc qui est amoureux d'elle résistera à cette |
|épreuve. Estimant que l'amour véritable ne peut se contenter de |
|l'apparence, elle entreprend ce jeu singulier, un peu comme cette |
|héroïne de l'Astrée qui se déchire le visage avec son diamant pour |
|s'assurer qu'elle est réellement aimée. Telle est l'exigence |
|absolue de la passion selon Stendhal. Telle aussi la méfiance |
|profonde de ses héros à l'égard de ce qui leur paraît mensonge, |
|truquage, hypocrisie dans "cet ignoble bal masqué qu'on appelle le |
|monde" (Lucien Leuwen, cap. 17). |
|Après avoir découvert que "le monde" - la société de la |
|Restauration et de la monarchie de Juillet - est un ignoble bal |
|masqué, après avoir mis à nu le fonctionnement d'un système fondé |
|sur l'hypocrisie et la tyrannie de l'argent, quelle attitude va |
|adopter le héros stendhalien à la recherche du bonheur ?
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